Les champs de cinabre
Alchimie externe et cinabre
Le cinabre (dan丹)est un terme provenant de l’alchimie. Il s’agit de sulfure de mercure. Il est aussi appelé « sang de dragon », « dragon rouge ». Dans son Histoire Naturelle, Pline l’appelle « Cinabre des Indes ».
Au IVème siècle avant notre ère, le taoïsme qui se développe, rassemble et systématise les connaissances cosmologiques, initiatiques et magico-techniques des confréries de forgerons. C'est grâce au cinabre que les alchimistes taoïstes sont en mesure d'extraire l'or du minerai et, d'en produire de plus importantes quantités que par l'orpaillage (récolte des paillettes et des pépites) qui était jusque là le seul moyen connu de produire ce métal précieux.
On cherche aussi à transformer ce cinabre pour obtenir une « pilule d’immortalité » ou un élixir de longue vie.
De l’alchimie externe à l’alchimie interne
Sous les Han (206 av. J.-C. - 220 ap. J-C.), il semble que plusieurs seigneurs aient été empoisonnés par les pilules d’immortalité fournies par leurs alchimistes. De plus, les opérations alchimiques se révèlent très coûteuses.
On en vient ainsi peu à peu à utiliser le vocabulaire de l’alchimie externe (waidan 外丹, en fait « cinabre externe ») pour qualifier des pratiques alliant travail du corps et de l’esprit (gymnastique taoïste, Qi Gong, méditation...), relevant alors d’une alchimie interne (neidan内丹, en fait « cinabre interne »).
Dans l’alchimie interne, ce sont alors les trois composantes de l’humain, esprit, souffle et essence (shen qi jing 神 氣 精) qui sont utilisés comme matériaux pour accéder à l’immortalité.
Il semble que le terme neidan apparaisse pour la première fois dans les Techniques respiratoires du maître de l’épée mystique (靈劍子•服氣訣) de Xu Xun (許遜) sous les Jin orientaux (265-420).
A cette époque, Ge Hong (283-343), un fonctionnaire intéressé par le taoïsme, le confucianisme, la stratégie, les arts militaires et les pratiques taoïstes visant à l’immortalité physique, écrit le Traité ésotérique et exotérique du Maître qui embrasse la Simplicité (Baopuzi neipian et Baopuzi waipian). Le traité ésotérique (neipian) traite du taoïsme, le traité exotérique (waipian) du confucianisme.
Ge Hong pense que l'immortalité physique est possible à tous, si on comprend les lois de la nature et s'y conforme. L'homme peut chercher l’immortalité par différentes techniques : la médecine (alimentation, hygiène), les pratiques physiologiques (respiratoires, corporelles) et surtout l'alchimie externe. Sans l’alchimie externe, on peut prolonger la vie, mais pas la rendre éternelle. Elle ne saurait être remplacée par l’alchimie interne.
L’alchimie interne
Pourtant, à la fin de la dynastie Tang (618-907), il semble que l’achimie interne ait peu à peu remplacé l’alchimie externe dans la recherche de la pilule d’immortalité. On interpréte alors les textes anciens comme des allégories concernant des vérités purement intérieures.
Sous les Song (920-1279) apparaît le courant Quanzhen (milieu du XIIème siècle), l’un des plus importants courants du taoïsme jusqu’à nos jours. Quanzhen préconise un syncrétisme entre les trois religions de la Chine : confucianisme, bouddhisme et taoïsme, représentées respectivement par la Doctrine du milieu et le Classique de la piété filiale pour les confucéens, par le Soutra du Diamant pour les bouddhistes, par le Livre de la Voie et de sa Vertu pour les taoïstes. L’opération alchimique de fabrication de l’élixir de longue vie est désormais réalisée entièrement dans le corps du pratiquant.
Les trois champs de cinabre
On parle dans la tradition chinoise de trois champs de cinabre (dantian), qu’on met en relation avec la trinité taoïste Terre, Homme, Ciel.
Le champ de cinabre inférieur, xià dāntián 下丹田(hara dans les arts martiaux japonais), se situerait environ trois doigts sous le nombril, au centre du corps, au niveau du point Qihai 气海. Il correspond à la Terre.
Le champ de cinabre médian, zhōng dāntián中丹田 ou zhèng dāntián正丹田, se situerait dans la poitrine, selon les sources, soit au niveau du plexus solaire, soit entre les seins, au niveau du point shanzhong 膻中, juste au-dessus du point zhongting中庭. Il correspond à l’Homme.
Le champ de cinabre supérieur shàng dāntián上丹田se situerait dans le crâne, au niveau du point Yintang 印堂. Il correspond au Ciel.
Il est à noter que si le Daoyinfa Qi Gong et l’acupuncture proviennent bien d’un fonds commun taoïste, la représentation du corps n’est pas forcément équivalente dans ces deux pratiques. Situer les champs de cinabre en utilisant les points d’acupuncture peut alors être pratique, mais s’avérer artificiel (comme de relier ces points aux pratiques martiales). De fait, les médecins chinois n’étudient pas les champs de cinabre et ne les utilisent pas dans leur pratique.
Certains utilisent même le nombre d’or pour situer les trois dāntián. Ils situent le champ de cinabre inférieur à 0, 618 de la longueur du corps, le champ de cinabre médian à 0,618 de la longueur du torse, et le champ de cinabre supérieur à 0,618 de la longueur de la tête.
Les étapes de l’alchimie interne
L’alchimie interne utilise les « trois trésors » ou « trois joyaux » (sanbao 三寶) que sont l’essence (jing 精), le souffle (qi 氣) et l’esprit (shen 神) dans sa recherche de l’élixir de longue vie.
Dans le champ de cinabre inférieur, l’essence est raffinée et transformée en souffle. Dans le champ de cinabre médian, le souffle est raffiné et transformé en énergie spirituelle. Dans le champ de cinabre supérieur, l’énergie spirituelle est raffinée et réintégrée à la vacuité, le Tao.
Pendant la première étape de l’alchimie intérieure, l’essence s’accumule dans le bas-ventre et est conduite vers le sommet de la tête en empruntant le méridien dumai督脉, dit vaisseau gouverneur. Puis l’essence redescend par le méridien renmai 任脉, dit vaisseau conception. Cette révolution transforme l’essence en souffle et dans le ventre se forme le cinabre, comparé à une goutte de rosée, une perle formée de souffles yin et yang, qui va se transformer en embryon dans la deuxième étape.
Cette deuxième étape s’effectue dans le champ de cinabre médian, où la perle de lumière devient un embryon de souffle qu’on entretient, afin de le transformer en énergie spirituelle. La révolution de l’essence et du souffle continue naturellement, sans être aidée par des exercices de visualisation et de respiration comme dans la première étape.
Dans la troisième étape, l’enfant-énergie spirituelle naît dans la tête, et peut sortir du corps ou y entrer par la fontanelle, suivant la volonté de l’adepte. Cet enfant de lumière est entretenu par des moyens spirituels pour être intégré à la vacuité, le Tao.
La grue à crête rouge
La grue à tête rouge, dāndǐnghè 丹顶鹤 (donc en fait « grue à crête de cinabre »), est un symbole de longévité, souvent représentée dans la peinture classique, évoquée en poésie. C’est un motif taoïste, et l’ont voit souvent les « hommes réalisés » la chevaucher et voler dans les cieux.
A Qiqihaer, à la frontière de la province du Heilongjiang et de Mongolie Intérieure, il existe une grande réserve naturelle, des marais à perte de vue, pour ces oiseaux majestueux, d’ailleurs officiellement choisis comme un symbole national.
Mais le visiteur pressé serait déçu s’il n’apercevait pas les grues. On a en donc enfermé quelques dizaines dans des cages à l’entrée de la réserve. Un comble pour ce qui devrait être « naturel » et se retrouve encagé comme curiosité touristique ! Et un manque de respect total pour cet oiseau national.